Talibés

Témoignages

Parce que de nombreuses personnes croisent de nombreux enfants malades, maltraités, traumatisés, nous souhaitons recueillir leurs témoignages afin de vous faire revivre cette expérience qui ne laisse personne indifférent.

Si vous - aussi, avez croisé la détresse de ces enfants et que vous souhaitez témoigner, écrivez nous votre histoire, nous la publierons: talibes@yahoo.fr


Témoignages de Mathieu, instituteur à Saly

le 02/05/09

Il était l'heure d'aller à l'école pour une séance de hand-ball, une leçon sur les châteaux-forts, des exercices de maths, de la poterie et la lecture du journal intime de Papelucho, un petit garçon chilien qui raconte ses vacances mouvementées à Vina del Mar. Il était l'heure de l'école mais nous avons croisé la peur d'un petit enfant de 6 ou 7 ans juste devant chez nous. Il devait avoir passé la nuit sur la plage, il avait froid, faim, il était faible et terrorisé ; il est passé devant nous avec une lenteur maladive, il n'allait nulle part, il était perdu. Nous avons fait demi-tour. Nous l'avons retrouvé dans la boutique de S, nous avons demandé à S quoi faire de cet enfant ; il répondait à peine aux questions de S, il ne savait pas ou ne voulait pas dire où était la maison de son marabout, il était sous-alimenté, il avait la tête amochée, il était pieds nus et il était vêtu de haillons. S nous a indiqué la maison de T. T est une dame qui s'occupe parfois, à la faveur de sa retraite, des petits talibés. Nous avons emmené l'enfant chez elle ; elle l'a accueilli, elle lui a préparé un petit déjeuner –lait chaud, biscotte, grenadine –pendant que nous étions en route pour rejoindre l'école et ce jour-là j'ai été en retard pour l'ouverture de grille. Nous sommes repassés le soir. T nous a raconté.

L'enfant s'appelait Missa, ou Fiso –elle n'avait pas bien compris. Ses parents vivent dans le Fouta à près de 800 km. Il a la gale, souffre de malnutrition, subi visiblement des sévices corporelles. Il a 6 ou 7 ans. Il s'était échappé de sa « daara ».


T avait d'abord cherché à joindre le chef du village –injoignable. Elle a appelé SOS Médecin – sur répondeur. Puis elle s'est rendue à la gendarmerie.

Avec un gendarme ils ont cherché la « daara » de l'enfant toute la matinée. Ils ont tourné dans M'Bour sans la trouver. Dès qu'ils croisaient des talibés ils leurs demandaient : « Vous le connaissez ? Où dort-il ? » Ils n'ont pas rencontré d'enfant qui le connaissait.

Lorsqu'ils s'arrêtaient pour interroger, un petit attroupement se formait. Une fois, un homme bien mis, en beau boubou et bien peigné s'est approché. Il a passé ses mains sur la poitrine chétive de l'enfant, comme pour contrôler l'état de son système respiratoire, il l'a tâté dans le dos et lui a fait ouvrir la bouche pour regarder ses dents puis il a dit : « Je le prends ! 20 000 ! » T est alors rentrée dans une colère folle. Devant tout le monde elle a attrapé le marabout par les cheveux et elle lui a crié : « T'es bien peigné là, t'es bien propre, c'est bien ! T'as de l'argent pour ça, bravo ! Et regarde cet enfant ! » Et elle a montré le sexe de l'enfant couvert de pus et je crois qu'elle a éclaté en sanglots. Parce qu'on peut acheter un gosse en pleine rue, devant un gendarme, apparemment en toute impunité. T a donné au marabout tous les noms qu'il méritait et elle est repartie avec l'enfant et le gendarme.

Sur les indications d'une personne qui pensait reconnaître l'enfant, ils sont allés dans une daara derrière le poste de santé de Grand-M'Bour. Là, T a vu une trentaine d'enfants couchés à même le sol de béton, tous atteints de la gale. Devant la maison, la voiture du marabout : une Mercedes. Le marabout n'était pas là. C'était un « assistant » qui gardait les enfants ce jour-là. Apparemment ce n'était pas encore la daara du petit Missa ou Fiso.

Cette matinée s'est terminée à la gendarmerie. L'enfant y est resté. Il faut espérer qu'il sera envoyé dans la structure d'une ONG d'aide à l'enfance sur M'Bour, mais le plus probable est qu'il retourne dans sa « daara ». Le gendarme a dit à T qu'il ne fallait pas faire ça, qu'il ne fallait pas les laver, par les accueillir chez soi car le marabout peut vous poursuivre pour séquestration d'enfant !
« La prochaine fois que vous voyez un enfant en détresse comme celui-ci, vous le laissez sur la bord de la route, vous passez votre chemin, et s'il tombe quelques mètres plus loin ce sera toujours un de moins ! »

T est rentrée chez elle bouleversée. Voilà où en est le Sénégal avec les trafics d'enfants qui y ont cours, sous couvert d'éducation coranique. Mais les politiciens disent : « Le dossier est sur la table ».

 
Je n'ai rien romancé du récit de T. Mais face à l'impuissance de tout le monde, l'absence de vraie volonté politique de changer les choses et de faire le tri entre éducation coranique et trafics d'enfants, devant aussi l'impossibilité (du moins la grande difficulté) d'agir, comme ONG ou comme individu, et la peur qu'inspirent les marabouts de ficelle "jeteurs de sorts", je commence à être d'accord avec Janine qui dit que l'une des premières choses à faire est de faire du scandale, d'aller systématiquement porter plainte et de faire connaître le problème à un maximum de personnes. En tous cas, des histoires pareilles sont déprimantes et donnent envie de quitter ce pays.
 
Mathieu
 


05/05/2009
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